La presse spécialisée en technologie de l'information, documentation, archives, en informatique, etc. consacre de nombreux articles au records management, aux systèmes d’archivage, à la gestion électronique de document, à l’archivage électronique, à la signature électronique et à la valeur probante des documents, à la dématérialisation, etc. Les réseaux sociaux tels LinkedIn ou Viadeo sont le lieu de débats fructueux mais aussi le lieu de promotion des systèmes d’archivage propriétaires ou open source des éditeurs, intégrateurs, etc. En lisant ces revues spécialisées et en participant à ces réseaux sociaux, nous avons l’impression que ces questions se situent au cœur des préoccupations de toutes les organisations publiques et privées quelles qu’elles soient et que celles-ci sont prises à bras le corps par les décideurs. Mais la réalité est toute autre.
En définitive, il existe encore, à l’heure où nous écrivons ces lignes, un décalage entre ce foisonnement de débat et de promotion relatifs aux systèmes d’archivage et la réalité vécue au sein des organisations au regard de la mise en œuvre de ces systèmes. En fait, de nombreuses organisations publiques et privées ne disposent pas de solutions et les directions n’envisagent pas systématiquement de s’en doter.
Malgré les exigences législatives et réglementaires : loi pour la confiance dans l'économie numérique, directive européenne sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques, loi Sarbanes-Oxley relative à la transparence financière des sociétés cotées en bourse, la loi française sur la Sécurité financière qui organise un contrôle légal des comptes des sociétés qui font appel à l’épargne et aux sociétés anonymes, les accords de Bâle qui accentuent la réflexion sur l’encadrement de la gestion des établissements bancaires, mais aussi le cadre normatif (normes ISO 30300, ISO 15489, ISO 16175, ISO 14641-1, NF 42-020, etc.). Les projets de systèmes d’archivage ont du mal à sortir des cartons et à voir concrètement le jour. Ils ne concernent souvent qu’une partie bien ciblée des organisations, une direction particulière, sans couvrir la totalité de l’organisation concernée. Un sondage auprès des grandes entreprises françaises montre que l’archivage électronique des documents originaux en est encore au stade de veille technologique ou au mieux au stade de prévision budgétaire. Moins de 10 % des entreprises françaises ont actuellement un système d’archivage. Sur une même période, 90 % des multinationales installées en Europe sont équipées d’une solution d’archivage (notamment en Grande-Bretagne et en Allemagne) (1).
Au-delà des freins principaux relatifs au volet financier au regard d’organisations budgétairement contraintes, ou au volet ressources humaines par le manque de compétence en interne, ou encore au volet technologique jugé encore peut fiable par certain, les facteurs qui freinent l’émergence et la concrétisation des projets concernent trois volets principaux :
- Très clairement le volet culturel au regard de bouleversement des mentalités et plus précisément en terme de conduite du changement que les décideurs devront assumer de fait, car la mise en place d’un système d’archivage remet en question fatalement la pratique quotidienne des métiers et le fonctionnement de l’organisme. A-t-on peur de faire le grand saut en bouleversant les pratiques quotidiennes ? Ne souhaiterions-nous pas bousculer trop brutalement ces pratiques ? Certains ne préféraient-ils pas attendre le départ à la retraite d’une partie de leurs collaborateurs ? Faudra-t-il qu’une génération passe, celle de collaborateurs actuellement aux affaires et culturellement non-adaptés ? Cette constatation montre que le « tempo » de l’humain est clairement inadapté au « tempo » technologique…
- Le volet technique, au regard d’une vision étriquée ou clivante du cycle de vie du document qui renvoie dos à dos records managers et archivistes, et dans laquelle le traitement des documents est réalisé en absence de linéarité. Les projets sont réalisés soit très en amont du cycle de vie, avant le jalon de la validation des documents (les gestions électroniques de documents (GED)), ou avant le jalon de la durée d’utilité administrative (DUA), (les systèmes d’archivage électronique (SAE)), soit très en aval après le jalon de la DUA, (les plates-formes d’archivage électronique (PAE)). Ces projets sont menés trop souvent, sans tenir compte les uns des autres, situés en amont ou en aval et sans interopérabilité. Pour exemple, se pose-t-on souvent la question suivante : Où vont être transférés les documents ayant une valeur historique et patrimoniale ?
Henri Zuber, responsable des archives de la SNCF, disait déjà très pertinemment en 2005 :
« On ne pourra se poser la question de la disparition du papier qu’à partir du moment où l’on aura pleinement positionné l’archivage comme une donnée fondamentale du cycle de vie du document, la phase finale « d’archives ». Etant donné la manière dont les archives et la conservation sur le long terme sont traitées à l’heure actuelle, nous ne sommes pas prêts en France. Nous abordons ces questions uniquement sous un angle logistique, et nous sommes dans une logique d’augmentation des volumes. Aujourd’hui, pour améliorer la gestion des archives et donc réduire les volumes, il faut repenser l’archivage dans une logique de records management » (2). Les raisons qui peuvent également expliquer ce retard français, au-delà des considérations culturelles évoquées plus haut, sont dues au fait qu’aucun texte en France ne définit la manière dont un système de gestion et d’archivage de documents électroniques doit être conduit et implémenté. Certes, certaines normes existent, elles sont citées plus haut, elles viennent accompagner des manuels et méthodes : DIRKS (Australie), Parbica (Pays du pacifique), Moreq (DLM Forum), etc. Tous ont été simplement traduit en français et très rarement diffusés (sauf Moreq) pour cause de droits d’auteurs notamment. Pour contribuer, à décomplexer nos freins culturels et palier au manque cruel d’une méthode et d’un modèle libre, de conception d’un système de gestion et d’archivage électronique devenu indispensable. Il serait désormais primordial de se doter d’un manuel ouvert et partagé qui fait appel aux contributions de professionnels et d’experts.
Qu’est ce qu’un système de gestion et d’archivage électronique ? 1) La gestion des documents électroniques est située au début du cycle de vie depuis la création ou la capture par le système jusqu’au jalon relatif à la durée d’utilité administrative (DUA) qui en détermine la destruction ou l’archivage pour des raisons historiques ou patrimoniales. La gestion des documents a pour objectif final de conserver les preuves fiables des transactions d’affaires de l’organisme producteur qu’il soit public ou privé.
La gestion des documents comprend les processus suivants :
- La création ou la capture ;
- L’utilisation (droit d’accès, « workflow », travail collaboratif, « versionning », modification, recherche, restitution, consultation) ;
- La validation (1er jalon) (signature électronique) ;
- La conservation à long terme des documents validés à valeur probante, conservation qui garantit la lisibilité, l’authenticité, l’intégrité, la pérennité, la fiabilité (coffre fort numérique de l’organisme producteur) ;
- Evaluation après DUA (2ème jalon) (délais de prescription, durée de conservation, sort final)
- Le transfert après la DUA (2ème jalon) depuis un système de gestion vers un système d’archivage à long terme des documents d’intérêt historique et patrimonial ;
- La destruction après DUA (2ème jalon) des documents n’ayant aucun intérêt historique et patrimonial.
2) L’archivage des documents électroniques est situé à la fin du cycle de vie des documents depuis la DUA.
La gestion des documents a pour objectif final la conservation à long terme illimitée des documents pour des raisons historiques ou patrimoniales.
L’archivage des documents comprend les processus suivants :
- Le versement, l’import, la capture des documents ayant un intérêt historique et patrimonial ;
- La conservation qui garantit la lisibilité, l’authenticité, l’intégrité, la pérennité, la fiabilité ;
- L’utilisation (droit d’accès, communicabilité, recherche, restitution, consultation, mise en valeur historique et patrimoniale).
Certains collègues préconisent le transfert des documents validés directement dans le système d’archivage sans passé par une phase intermédiaire de conservation à long terme au sein de l’organisme producteur. Cette vision s’explique par le fait d’assurer directement et le plus rapidement possible la préservation du document validé au regard des critères de lisibilité, d’authenticité, d’intégrité, de pérennité, de fiabilité qui qualifient la conservation à long terme.
S’agit-il d’une vision trop précipitée ou dogmatique ? Ce point étant en effet, l’objet de débat entre professionnels et experts.
Dans la mise en œuvre pratique et au quotidien, il s’avère cependant que cette vision soit véritablement contraignante pour les administrateurs du système d’archivage confrontés à des versements, imports ou captures à flux tendu de tous les documents validés de tous les services producteurs dont ils ont la charge. Pour exemple, dans le cas d’une plate-forme d’archivage électronique gérée par un service d’archives public (archives départementales, etc.), ce processus risque d’être très rapidement submergeant pour les administrateurs. Une vision plus pragmatique et raisonnable consisterait à conserver à long terme les documents électroniques validés à un stade intermédiaire dans le service producteur à charge pour lui de mettre en place au sein de son système de gestion des documents, toutes les garanties permettant la lisibilité, l’authenticité, l’intégrité, la pérennité, la fiabilité qui qualifie la conservation à long terme des documents, par le biais par exemple de coffres forts numériques (norme NFZ 42-020), etc.) interopérables et techniquement compatibles permettant un transfert régulier vers le système d’archivage qui doit garantir également la conservation à long terme des documents ayant un intérêt historique et patrimonial.
Eric MICAELLI
Article publié le 21 mai 2012
Cet article fait suite aux fructueux débats initiés sur les blogs et réseaux sociaux suivants :
LinkedIn : Communauté records management de l’AAF Blog : Le présent d'hier et de demainBlog : Archives OnlineBlog : Les carnets de Michel RobergeNotes : (1) : Pierre de Bilderling,
L’archivage électronique et le retard du marché français, In ITR Manager.com [http://www.itrmanager.com], 2005.
(2) : Marie Mathias Dronne,
Conduire un projet d’archivage électronique : réflexions et mises en œuvre, mémoire, CNAM, INTD, 2006.